vendredi 25 septembre 2009

Baignades, risques de noyades, noyés ...

Fin avril, Hervé Mestron est parti. La résidence est close.

Dans nos pensées demeurent des souvenirs de repas partagés, de mots échangés et chose étrange et unique, on a une pensée émue pour les chaussettes
(voir le blog d’Hervé), celles des autres ou bien les nôtres.
Depuis le passage d’Hervé, on a tendance à les regarder autrement et dans l’intimité de notre chambre, on se surprend à entrouvrir leur tiroir pour épier leur discussion.. Merci Hervé !

Hervé est parti mais le groupe a toujours et encore envie
de se retrouver pour écrire.
Les ateliers d'écriture continuent avec comme chef de chœur : Maryline Bizeul.


Françoise G : Baignade

Par ce beau dimanche d’août, les familles se retrouvent sur la plage de la Charité-sur-Loire. Il fait très chaud. Les longues langues de sable se peuplent de groupes colorés. Tous arrivent avec chapeaux, serviettes, parasols, jeux d’enfants et paniers de pique-nique, quelques fois une table pliante et des sièges de toile. Mais le plus souvent on s’installe sur le sable, on étale une nappe à carreaux, on sort les victuailles, on met les bouteilles au frais dans l’eau.

Pour la première fois de l’année (toutes les moissons sont terminées) Jeannette et sa famille se sont installés sur le sable. Il y a le père, pas très content d’être là, la mère épanouie et bavarde et les deux petits frères, deux galopins qui pataugent déjà et puis Jeannette.
Jeannette a ôté sa robe et installée à l’écart sur sa belle serviette bleue ornée d’une ancre marine, elle enduit tout son corps d’ambre solaire, elle prend plaisir à cette caresse sensuelle, puis elle s’allonge, un chapeau de paille sur la tête et un livre à la main pour se donner bonne contenance.

Elle n’a pas du tout envie de lire, elle veut juste se dorer au soleil, ce qu’elle n’a jamais l’occasion de faire à la ferme car ses parents (et surtout son père) lui trouvent toujours quelque chose à faire.

Elle aurait bien aimé avoir un maillot de bains deux-pièces comme elle en a vu dans un magazine de mode chez le coiffeur, elle n’a pas osé le prendre ce magazine mais elle se souvient bien des jolies silhouettes des mannequins. Elle doit se contenter de son maillot bleu marine bien couvrant.
Finalement, elle se trouve assez jolie dedans, la petite ceinture blanche marque bien ses hanches et on devine sa poitrine bien ferme sous le tissu un peu trop épais.

A plat ventre sur sa serviette, soi-disant plongée dans son livre, elle jette des coups d’œil au voisinage. Son père somnole, sa mère s’affaire, ses frères creusent le sable, personne ne s’occupe d’elle.

Un groupe attire son attention : trois jeunes gens qui ayant laissé leurs affaires regroupés sur une natte de raphia jouent au ballon et quelquefois courent dans l’eau en s’éclaboussant. Il y en a un qui l’intéresse particulièrement, ce n’est pas le plus costaud mais il est grand et mince, ses cheveux châtains et bouclés sont en désordre, il porte un débardeur blanc et un short bleu et cela lui va bien.

Elle l’a déjà aperçu passant en vélo devant la ferme ou roulant dans un gros tracteur vert sur la route de la forêt, elle a appris aussi qu’il joue de l’accordéon dans les bals su samedi soir.
Elle jette des petits coups d’œil et fait semblant de se replonger dans son livre et parfois croise son regard, enfin elle a l’impression de croiser son regard. Mais oui, il la regarde aussi c’est sûr. Du coup, elle n’ose plus lever la tête cachant sa rougeur en s’absorbant dans sa lecture.

A table ! claironne sa mère. Elle se lève, regagne le groupe familial. Pendant le repas, elle tourne le dos au groupe des garçons mais elle sent leur présence dans son dos.
Après le repas, il faut se reposer c’est la règle pas question de se baigner avant les trois heures de digestion réglementaire.
Elle retourne sur sa serviette, à l’ombre cette fois. Elle jette un coup d’œil alentour. Et déception ! plus trace des garçons. C’est vrai qu’elle n’avait pas vu de panier de pique-nique, ils sont rentrés chez eux pour manger. Ou peut-être qu’ils n’étaient venus que le matin ? Ou peut-être que ….

Elle ne sait plus, elle ne sait pas, elle en aurait pleuré.
L’heure du bain est arrivée, elle aime se baigner même si elle ne sait pas nager, même si le courant trop fort est un peu inquiétant, même s’il lui faut surveiller ses frères parce que ses parents ne mettent jamais un pied dans l’eau.
Elle s’avance, elle s’asperge et finalement se glisse dans l’eau fraîche et apprécie les caresses du courant sur tout son corps. Elle ferme les yeux pour profiter de l’instant. Chaque parcelle de son corps semble se réveiller.

Et puis on l’éclabousse et puis elle se retourne prête à crier son indignation et puis c’est lui !
Il est si proche, il la regarde. Il n’est pas seul, ses copains sont là aussi.
Mais c’est lui qui parle, qui lui sourit l’invitant à jouer avec eux. Tous les trois sautent, plongent, nagent autour d’elle. Mais il lui dit : « je vous ai vue quand je passais en vélo devant votre cour, je vous ai vu du haut de mon tracteur sur la route de la forêt, je voudrais bien vous voir au bal demain soir »
Elle sourit, n’ose pas répondre encore. Mais elle rougit quand il l’a frôle. Un monde d’émotions nouvelles s’ouvre devant elle.




Dominique D : Jour de Lessive

Il faisait froid ce matin là. C'était jour de lessive. Comme chaque fois, Amélie avait sorti la brouette pour y déposer le grand baquet de linge sale. Son père, mécanicien au faubourg, entretenait les machines agricoles : graisse et salissures s'incrustaient dans les fibres des vêtements.
Il fallait frotter, frotter, mais Amélie aimait être au bord de l'eau, seule, à regarder le fleuve s'étirer majestueusement. Ses pensées pouvaient divaguer et rejoindre Jean son fiancé parti au front.
Depuis plusieurs mois, pas de nouvelles. Chaque matin, elle guettait l'arrivée du facteur, mais en la voyant, il hochait la tête d'un air las. Elle lui offrait un café, espérant s'attirer ses bonnes grâces. Peut-être demain apporterait-il une lettre ?
Ce lundi matin après son départ, Amélie se secoua, enfila des vêtements chauds, sortit et poussa la brouette jusqu'au fleuve. Elle s'installa à l'endroit habituel. Ses doigts gourds étaient maladroits, et le linge raide difficile à manier. Elle plongea ses mains dans l'eau et un engourdissement la prit: ce fut la chute. Elle essaya de résister puis paralysée par le froid se laissa dériver dans un brouillard cotonneux et bienfaisant.


Denise LG

J’aime être au milieu de la Loire, le matin de bonne heure, je vais lancer mes filets avec de grands gestes comme un semeur. La pêche devrait être fructueuse, il le faut car j’ai des commandes de friture pour les restaurateurs de La Charité.
C’est un beau lundi de mai qui s’annonce, frais encore à 7 heures, avec de la brume qui se lève doucement du fleuve, quel calme, quel bonheur, avec promesse de grand soleil.
Tiens ! il est rare de voir des personnes à cette heure sur le banc de sable en amont des bateaux -lavoirs, que font ces deux gugus à parler haut et fort, à rire, à se taper dans le dos comme des militaires en goguette après une soirée de libations. Ils se déshabillent, ils ne vont tout de même pas se baigner, c’est dangereux à cet endroit. Et bien si, ils se jettent à l’eau !! j’ai beau crié et faire de grands gestes, personne ne voit rien, n’entend rien, sur le bateau-lavoir il n’y a personne, lundi n’est pas un jour traditionnel de lessive.
Les nageurs semblent faire la course, ça y est l’un d’eux perd pied, se débat et hurle au secours, trop tard, le courant l’entraîne sous le bateau –lavoir, s’en est fini pour lui, je pense. Nos hurlements ont alerté les gens du bord de Loire qui assistent impuissants à cette scène dramatique. Pour retirer le corps du jeune homme, il a fallu déplacer le bateau-lavoir.
Le cœur lourd j’ai repris ma tâche de pêcheur sans enthousiasme, pourtant la journée s’annonçait si belle.
Par le journal du mardi, j’ai su que l’autre garçon était sorti sain et sauf de l’eau, mais comme il était en tenue d’Adam, ce sont les gendarmes qui l’ont accueilli sous les yeux mi rieurs, mi scandalisés des badauds.
La Loire a une fois de plus englouti un imprudent. Attention à elle, c’est une traitresse, mais elle est si belle qu’on ne peut lui en vouloir.

Patricia A

Article « Courageux sauveteur : un émigré des régions envahies … à ce simple et courageux émigré .. »

Mon pays me manque….l’odeur de ma terre, le sourire de ma femme et de mes enfants. Ici, je ne suis rien pour personne. Je ne suis que deux bras qui travaillent à longueur de journée. Je dors dans une petite chambre perdue sous les toits. Je ne suis qu’une ombre sale qui glisse dans les rues ..l’ombre de qui ? de quoi ? celle d’un chien ? l’ombre de l’ombre d’un homme venu d’un pays lointain, d’un pays de barbares, d’incultes, de sauvages ..un pays ? non une contrée d’une région envahie.

Dimanche, quand j’ai vu le petit garçon ballotté comme un bouchon dans les eaux de la Loire, mon sang n’a fait qu’un tour ! C’était mon fils, mon frère qui se noyait. Chez nous l’enfant d’un homme est l’enfant de tout le village.
C’était mon enfant qui était dans l’eau. J’ai plongé ! Je sentais tous les muscles de mon corps se contracter et faire bloc pour affronter la force des courants. Lutte du corps d’un homme d’ombre contre un fleuve royal..
Me battre contre les courants pour vivre, survivre, sauver, je sais faire. Mon quotidien est un combat pour vivre et sauver ma famille là-bas au bled.
Quand j’ai attrapé le garçonnet dans mes bras, tout son corps était comme électrisé ! Il hurlait ...je lui ai crié quelques mots ...mais il n’entendait pas.

Quand nous avons atteint la berge, il est devenu entre mes bras comme un pantin cassé, muet, qui ne bougeait plus. Je l’ai serré dans mes bras, contre mon cœur, ma chaleur, je l’ai bercé et je me suis mis à lui fredonner une berceuse de mon pays, une chanson qui parle d’amour et de vie… une petite ritournelle de mon enfance. Au bout de quelques instants, j’ai senti son corps se réchauffer, ses yeux, se sont ouverts et j’ai vu deux pupilles noirs comme celles de mon fils et je me suis mis à pleurer.

Puis la foule est arrivée, on me tapait dans le dos, on m’a arraché l’enfant des bras.. et je suis devenu pour quelques instants un simple et courageux émigré avant de redevenir une ombre sale qui glisse dans les rues.

Rita P: Paroles de Loire

Capricieuse, moi? Capricieuse comme une femme? Idiot et sexiste, en plus. Oui, je sais, on n’imagine pas qu’un fleuve puisse parler de sexisme, mais c’est comme ça. Je suis la Loire et fière d’être un fleuve au féminin.

On me dit dangereuse, on met les pères et mères de famille en garde, on envoie des inspecteurs de police chasser les enfants qui se baignent dans les « endroits non désignés par l’autorité ». Quelle autorité ? De quel droit ces créatures ridicules décident-elles des lieux que les baigneurs peuvent fréquenter ?

En réalité, c’est moi seule qui choisit, et parfois, je l’avoue, c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’empêcher de serrer un corps un peu trop fort, de l’entraîner malgré lui ; mais ce n’est ni caprice, ni cruauté de ma part. Simple maladresse.

En général, je les accueille avec bienveillance ces baigneurs qui viennent retrouver dans mes eaux des sensations d’autrefois, d’il y a très, très longtemps, quand les hommes étaient encore des poissons… enfin, des poissons, façon de parler, des créatures aquatiques, des animalcules…. Tout le monde sait désormais que l’eau est la source de la Vie, avec un grand V.

Il faut les voir de près ces gens respectables qui n’hésitent pas à se mettre à moitié nus pour s’ébattre dans l’eau comme des gamins.
« Ces personnes de qualité au négligé impeccable », comme dit le journal. Eh oui, je sais ce qui est écrit dans le journal .ça vous épate, hein ?
Impeccable, tu parles ! quand je pense qu’il y en a qui n’hésitent pas à faire pipi dans l’eau… Ou pire encore. A jeter leurs secrets dans la flotte ou à noyer leurs voisins, leurs époux, leurs amis, leurs parents quand ils veulent s’en débarrasser.

Quant aux gamins, les vrais, ils batifolent comme de petits animaux enfin rendus à la liberté.
Ceux-là je les aime ; Entendre leurs rires sonores, les sentir courir, s’éclabousser, les cheveux mouillés, les yeux brillants…
Alors parfois, oui, je l’avoue, je ne peux pas m’empêcher de vouloir en garder un ou deux avec moi, en moi.
Mais de là à m’envoyer la police…


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